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SOMMAIRE n° 2 BLEUE

 

stanislas benhaïm, l'anamorphose du papillon veuf

 


... l'anamorphose du papillon veuf, le plus émouvant des spectacles des régions tropicales où le peu d'air interdit les grandes manifestations.
On s'éparpille à quelques-uns parmi les hautes herbes, certains plus courageux que d'autres fouiront le sol afin d'y ménager un trou humide, et d'y coller le ventre.
On attend, les paupières mi-closes, en se grattant le bas du dos ; on attend que le papillon veuf — aisément reconnaissable à son vol bancal, ses ailes rapiécées, sa façon de raser les pointes des fougères, de s'y appuyer comme sur autant de cannes — fasse son apparition.
On le voit s'installer dans un recoin, toussoter, puis sans hâte, vraiment sans aucune ostentation, très patiemment, commencer de tricoter son cocon.
Cela peut durer des semaines, car parfois il s'endort — comme ça, les aiguilles à la main, il pique du nez : malheur si alors il se mettait à ronfler, dans sa vulnérabilité, à moitié emmailloté, il finirait gobé — oui-oui, gobé.
Mais s'il ne ronfle pas, il passera inaperçu, et si l'on est très attentif, à un moment ou à un autre on le verra bouger (tout juste comme un orteil dépassant d'une chaussette trouée). Et bientôt il aura terminé son chandail, on l'aura vu s'amenuiser et disparaître sous la laine blanche de sa barbe, minutieusement tricotée en cocon, l'enveloppant tout, de la tête jusqu'aux pieds.
Il suffira d'attendre, comme on sèche les pruneaux, les dattes, les bananes, que le cocon ratatine jusqu'à ne plus ressembler qu'à quelque chose d'égaré, de tombé de la poche sans que vraiment quiconque s'en soucie.
C'est alors, alors même que plus personne ne songerait à regarder encore, qu'un oeil assez exercé, un oeil de statue, décèlerait comme un plissement, un léger vent de repli, pas même une brise, quelque chose comme l'effort du bouton d'acné entre deux ongles, qui perce peu à peu...