... l'anamorphose du papillon veuf, le plus émouvant des spectacles
des régions tropicales où le peu d'air interdit les grandes
manifestations.
On s'éparpille à quelques-uns parmi les hautes herbes, certains
plus courageux que d'autres fouiront le sol afin d'y ménager un
trou humide, et d'y coller le ventre.
On attend, les paupières mi-closes, en se grattant le bas du dos
; on attend que le papillon veuf aisément reconnaissable
à son vol bancal, ses ailes rapiécées, sa façon
de raser les pointes des fougères, de s'y appuyer comme sur autant
de cannes fasse son apparition.
On le voit s'installer dans un recoin, toussoter, puis sans hâte,
vraiment sans aucune ostentation, très patiemment, commencer de
tricoter son cocon.
Cela peut durer des semaines, car parfois il s'endort comme ça,
les aiguilles à la main, il pique du nez : malheur si alors il
se mettait à ronfler, dans sa vulnérabilité, à
moitié emmailloté, il finirait gobé oui-oui,
gobé.
Mais s'il ne ronfle pas, il passera inaperçu, et si l'on est très
attentif, à un moment ou à un autre on le verra bouger (tout
juste comme un orteil dépassant d'une chaussette trouée).
Et bientôt il aura terminé son chandail, on l'aura vu s'amenuiser
et disparaître sous la laine blanche de sa barbe, minutieusement
tricotée en cocon, l'enveloppant tout, de la tête jusqu'aux
pieds.
Il suffira d'attendre, comme on sèche les pruneaux, les dattes,
les bananes, que le cocon ratatine jusqu'à ne plus ressembler qu'à
quelque chose d'égaré, de tombé de la poche sans
que vraiment quiconque s'en soucie.
C'est alors, alors même que plus personne ne songerait à
regarder encore, qu'un oeil assez exercé, un oeil de statue, décèlerait
comme un plissement, un léger vent de repli, pas même une
brise, quelque chose comme l'effort du bouton d'acné entre deux
ongles, qui perce peu à peu...
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