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gérard dessons, lettres à un intime

 

      C'est ce matin, devant la porte. J'ai évité de regarder quelque chose — je m'étonne encore que ma main soit tombée : deux oiseaux morts, pareils. Une saison s'étire : mots, coupes, grappes. Je suis contente. Au retour, sur la route, je regardais l'espace rouge rose à se mettre la nuit dessous. Du semblant d'écriture cette accumulation d'air. Les moissons — soleil. Mais questionne-moi, peut-être.

      Oublie cette histoire, blanche comme une vieille langueur, histoire d'un jour triste, d'une attente dévidée dans une grande vibration d'air. Je ne peux pas m'endormir pour moi-même. Je me plais à lutter, toujours déchirée, avec une machine trop droite qui tire par la tête. Hier soir, en vrac, je pleurais d'avoir vu des coupures sur ta poitrine comme des traces de compassion. Je me souviens de ces grandes éraflures. Ils ont cru jusqu'au bout au déroulement d'une ponctuation.

      Un enfant — sa tête est tournée comme une offrande magnifique. Tes mains d'amant aux ongles d'amande. Percée du dedans à chercher les détails de ton visage, je l'ai placée, une graine, ma mémoire, sur le sol.

      Je vois tes doigts pour la dernière fois.

      Ce grand ciel de lit, je regarde ton corps obvie reposé dessous. Éros dort. Paupières nacrées ouvertes ou fermées. J'attendrai que ce qui arrive n'arrive pas. Je regarderai l'hiver couler comme un bateau lourd. Tu vas dormir encore. Son corps dort — celui d'une peinture.

      Je veux tellement me tendre sur l'envers du présent, que je n'aime plus l'innocence du matin. T'écrire. Poursuivre de mon courrier l'étirement du temps - essayer encore.

      C'est une nuit impossible à dormir pour les vivants, une suite logique de grillons, un jeu de lune dans du bleu noir, des grands couples aux corps de sable étirés sur elle, avec des lumières, au loin, des petites vacillantes en lévitation, et l'abandon des mots sur les lèvres. C'est parfaitement l'attente.

      Je vois tes mains, tes doigts fleurs en condensation, à peine pliées tes jambes, un bras, avec du sommeil, peau posée au fond de ton repos, ce corps aux pieds légers. À toujours t'imaginer, bientôt je n'aurai plus de lieux où tu es.

      J'ai chassé tout un jour avec des certitudes de l'éveil comme jamais. Je ne les reverrai pas. Je suis pleine de noir, et je pars poser mes yeux aux portes lumineuses peut-être. Enterrer alors cette chaleur. Avec elle, les nuages, la voie lactée — lactée du lait des étoiles — la lune, la lune en ce moment, les mésanges de passage, le givre opaque.

      Que fais-tu ? Jouons encore, à rien, au diable, aux osselets. Le jeu est grave toujours. Le jeu est tout venant. Tu serais, tu serais celui qui étend mes mots comme sur un lit les défroisse les lie en extension subite. Il y aurait un autre rythme, une rupture de temps, une respiration immobile comme un sourire gourd dans un journal.

      Dis-moi quelque chose. Je prends doute, jamais assez traversée de part en part, penser à deux mains avec la tête entre, couronnée de vertige. C'est la conscience aiguë de quitter nos recoins, un effet d'altitude qui s'absorbe. Aujourd’hui j’ai perdu pied infiniment.

      Je suis désolée de cet inachèvement à payer tous les jours comme une familiarité sans effets. Pourtant, j’ai envie de rire, d’être furieuse, de traverser les rêves comme on désire un taureau, j’ai envie de ça. Le soir, je reste des heures à tenter d’écrire sur une toute petite fille. Elle n’a pas de nom : elle joue du violon dans la campagne.