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SOMMAIRE n° 4
BLEUE

 

mohamed hmoudane, reliefs de fièvre

 

Mohamed Hmoudane est né en 1968 à El Maâzize (Maroc). Il est l’auteur de deux livres de poésie parus à l’Harmattan ainsi que de plusieurs textes poétiques publiés dans
différentes revues, notamment dans
PO&SIE.


I

Ma fièvre est désormais inconséquente. J'ai consumé toute ma part de névrose. Et comme je n'ai plus rien à perdre à présent, je vous menace ! Et je charge ! Et je vide sur vous les vannes de ma cervelle ! Accommodez-vous de ça ! Et avalez ! avalez les lignes phtisiques !


Plus de compromis
Plus de lunes qui débordent des flûtes !


Mon casier n'est d'ailleurs pas vierge et vous le savez ! J'ai cela en passif : j'ai brûlé vers la poésie ! J'y suis entré par effraction ! Mais je me complais tellement dans la clandestinité que je ne prends plus de précautions. J'ai même approché le Phénix et je songe à flinguer Vénus !

Plus de mouillage !

Le périple risque d'être long, interminable même. Et je n'embarquai pas au bord d'une métaphore ! C'est une patera (1) qu'il me fallait. Un cercueil en feu qui flotte. Sans répit ! En dérive ! Qui n'accoste jamais !

La mort est sans doute un simple calcul de survies, mais ce n'est en tout cas pas un port ! La pérégrination continue...

Et je rode du côté de Mesnilmontant. Il fait un temps propice à tenter des rythmes et des femmes. Les femmes surtout !

Je suis faux
Je me maquille
Comme Paris
La nuit
Je soigne mon spleen
Chronique etc...

Plus de marchandage !

Prix fixe ! Il faut vendre son image au plus offrant. Au prix fort. Et cash. Ne jamais spéculer sur la misère. Ce n'est plus coté pour tirer un coup ! Et tant pis si je me rends compte que j'étais souvent de la chair à canon !
« Tu vois mon petit trésor, t’arrives finalement à baiser en français ! Ton esprit et ta queue s’y déclinent parfaitement … »

Trois heures du matin. En avant toute ! Cap sur Saint-Denis ! À pied. Sous la pluie. J'ai bu toute ma thune ! Saint-Denis. Sacrée réputation. Ici, on est au cœur du Neuf / Trois. Deux chiffres qui font trembler même les plus durs! Ça sonne comme un frisson de camé. Saint-Denis. Quand j'y rentre bourré, surtout les matins où la brume s'étage au-dessus de l'eau verdâtre et lourde du canal, c'est comme si je pénétrais dans les terres sauvages du Clan Campbell. Sauf que ce n'est pas aussi clean que sur l'affiche publicitaire. Mais passons ! Saint-Denis. La ville rouge. La ville des Rois de France. Mon village à moi...

J'y ai noué des rapports. Des deux côtés du miroir. Du côté des gagnants comme de celui des loosers. Mais je ne me mouille jamais et je parle peu. Demandez-le à la journaliste du canard local ! La pauvre ! Elle n'a rien pu tirer de moi à propos du "Poète dans la cité" « Le poète dans la tribu, vouliez-vous dire, je viens du Maroc... puis excusez ma crédulité, je suis toujours à me demander, tant que je reste fasciné par cette statement : « Ecrire avec ses tripes... », pourquoi ne pas tracer avec de la merde ce qu'on grave avec du sang ou de l'encre ! Ça fume autant et ça sèche ! » et en guise d'un au-revoir : « Je suis une rose aux épines vénéneuses... » C'était à l'occasion du truc lancé par Jack Lang...


Elle avait dû sûrement penser que je la narguais. Je n'ai eu enfin que ce que je méritais. J'étais à peine visible à côté d'un dinosaure de la poésie française. Mais je m'en moque en vérité puisque j'ai pu, grâce à ce petit papier, manger gratis dans un restaurant du centre-ville : « Il me semblait bien que c'était vous sur le journal... » --- Et ma vieille voisine qui dit souvent son Ave Maria à voix haute pour signifier aux Maliens d'en face qu'une prière est un moment de recueillement qui exige le silence : « Mais Monsieur Hmoudane, je ne savais pas que vous étiez poète ! Nous voudrions bien, mon mari et moi, lire ce que vous écrivez. » --- Cent francs l'exemplaire et en liquide ! Awide (2), la vieille !

Plus de compassion !


Plus de phratrie !

A l'Annexe, le bar-à-putes comme on l'appelle, on est entre « frères ». Le même sang coule dans nos veines. Mais tout se passe à huis clos. Rien ne filtrait des
transactions louches. On ne me jugeait pas digne du noyau dur. On me tenait à l’écart. Ainsi, presque chaque nuit, je m'imbibe jusqu'à la moelle, de bière bon marché et je me tape, tout en restant étanche aux sentiments froissables, la tchatche avec des « putes » en fin de carrière. Des vieilles «putes» bien de chez nous qui toussent et crachent leur âge et leurs nostalgies !

Plus de comédie !
Plus de maquillage !

Il faut tuer à visage découvert. Froidement ! A bout portant ! A commencer par le lecteur !

Et me voilà serrant contre ta tempe la bouche glaciale du canon. Tu trembles. Tu transpires. Tu hurles. Tu vas chier dans ton froc. Bientôt, j'appuierai sur la gâchette et ta cervelle giclera sur les murs.

Tu gis maintenant à même la terre. Tu me fixes. Tu me vois humer ta merde. Me laper de ton sang. Tu me vois jouir. Jouir...

 

II

J'en étais à une phase assez avancée de dégénérescence et à je ne sais plus combien de verres…

Ce soir comme les précédents j'avais encore bu
jusqu'à la nausée ! Et si au moins j'arrivais à vomir.

Mais non rien
Constipation totale
Pannes sèches
Pas même un semblant d'orgasme pour couronner le
vertige


Je pataugeais dans le vide dont des pans translucides venaient éclabousser les pages. J'avais dû d'ailleurs des nuits entières partouser avec des morts. Des absents. Je les recevais tous. Ceux à venir surtout. Comme il se devait. Je ne lésinais sur rien ! Je dépensais sans compter mes ruts ! Et avec une telle hargne que le sang devait gicler avec le sperme !


C'est une question d'hygiène
J'aseptisais mes plaies abruptes
Je leur donnais du relief

J'avais même à un moment, à force de me complaire dans la magnificence, cru posséder un assez grand talent pour jouer au mort. Réellement. C'est raté. Cela se mérite. Et je demeure hélas trop ressemblant et frappé, malgré tout, d'incontinence.

Il va falloir désormais que j'apprenne à ne dire que ce terrible silence aux contours toujours informes et troubles

L'inabordable
L'insondable
Silence
Sinon, je la bouclerai ! C'est salutaire !


III

A présent que la fièvre retombe, répandant l'odeur froide d'encens et de sueur, je pourrais penser avoir été de l'ouvrage quand des hommes dressèrent ce lavis de sonates et d'autres clapotis : droit sur le quai qui chavirait, je hélais le feu, je l'épelais…

Aux cris d'un phénix, des nuages écarlates fondaient tandis que les ailes continuaient à battre comme pour attiser toute la cendre qui allait tomber : trainées rapides de silex broyés aux confins des dernières flammes et brusquement des hommes, des
forgerons sans doute, investirent le mirage.

Les trous du ciel mouvant se mirent alors à saigner comme, aux extrémités, les étranges enclumes aux fissures profondes et bleutées, tout au long des noces que des androgynes rêvaient pour eux : en bas, dans la forge où j'étais descendu par un soir peuplé de mille démences, des morts s'employaient à dérouiller la vieille mécanique d'éros en même temps qu'ils aiguisaient la hache secrète qui départagera les voies névralgiques de l'ultime sacre.

La forêt en trembla et les cimes argentées déferlaient jusqu'aux astres de boue qui ceignaient la nuit. A la limite, l'encre fumait à travers les fentes des pierres tandis que le bouc tellurique paissait encore dans des contrées célestes lorsque les mêmes vinrent le chasser des pâturages d'émeraudes vers les abattoirs. Puis, ils s'en allèrent, au travers des braises écloses et le tintement des tambours, clamant l'abolition du cercle ainsi que de tout autre rythme afin que nous tentions un paysage, le pays même, du crépuscule à l'assaut des clartés.

Et comme je venais attester ma mort de gémissements lapés de feu, je me serai souvenu de cette femme que j'avais abandonnée à des spectres. Je devais enfin être dans des exils plus hauts que le mien pour l'avoir ainsi sacrifiée sur un autel d'alphabet !

Il y aurait eu cependant des dissonances

 

 

 

1. Embarcation de fortune dont se servent les passeurs d'immigrés
clandestins, connue également sous le nom de barque de la mort.

2. "donne !", en berbère.