I
Ma fièvre est désormais inconséquente. J'ai consumé
toute ma part de névrose. Et comme je n'ai plus rien à
perdre à présent, je vous menace ! Et je charge ! Et je
vide sur vous les vannes de ma cervelle ! Accommodez-vous de ça
! Et avalez ! avalez les lignes phtisiques !
Plus de compromis
Plus de lunes qui débordent des flûtes !
Mon casier n'est d'ailleurs pas vierge et vous le savez ! J'ai cela
en passif : j'ai brûlé vers la poésie ! J'y
suis entré par effraction ! Mais je me complais tellement dans
la clandestinité que je ne prends plus de précautions.
J'ai même approché le Phénix et je songe à
flinguer Vénus !
Plus de mouillage !
Le périple risque d'être long, interminable même.
Et je n'embarquai pas au bord d'une métaphore ! C'est une patera
(1) qu'il me fallait. Un cercueil en feu qui
flotte. Sans répit ! En dérive ! Qui n'accoste jamais
!
La mort est sans doute un simple calcul de survies, mais ce n'est en
tout cas pas un port ! La pérégrination continue...
Et je rode du côté de Mesnilmontant. Il fait un temps
propice à tenter des rythmes et des femmes. Les femmes surtout
!
Je suis faux
Je me maquille
Comme Paris
La nuit
Je soigne mon spleen
Chronique etc...
Plus de marchandage !
Prix fixe ! Il faut vendre son image au plus offrant. Au prix fort.
Et cash. Ne jamais spéculer sur la misère. Ce n'est plus
coté pour tirer un coup ! Et tant pis si je me rends compte que
j'étais souvent de la chair à canon !
« Tu vois mon petit trésor, tarrives finalement à
baiser en français ! Ton esprit et ta queue sy déclinent
parfaitement
»
Trois heures du matin. En avant toute ! Cap sur Saint-Denis ! À
pied. Sous la pluie. J'ai bu toute ma thune ! Saint-Denis. Sacrée
réputation. Ici, on est au cur du Neuf / Trois. Deux chiffres
qui font trembler même les plus durs! Ça sonne comme un
frisson de camé. Saint-Denis. Quand j'y rentre bourré,
surtout les matins où la brume s'étage au-dessus de l'eau
verdâtre et lourde du canal, c'est comme si je pénétrais
dans les terres sauvages du Clan Campbell. Sauf que ce n'est pas aussi
clean que sur l'affiche publicitaire. Mais passons ! Saint-Denis. La
ville rouge. La ville des Rois de France. Mon village à moi...
J'y ai noué des rapports. Des deux côtés du miroir.
Du côté des gagnants comme de celui des loosers.
Mais je ne me mouille jamais et je parle peu. Demandez-le à la
journaliste du canard local ! La pauvre ! Elle n'a rien pu tirer de
moi à propos du "Poète dans la cité"
« Le poète dans la tribu, vouliez-vous dire, je viens du
Maroc... puis excusez ma crédulité, je suis toujours à
me demander, tant que je reste fasciné par cette statement :
« Ecrire avec ses tripes... », pourquoi ne pas tracer avec
de la merde ce qu'on grave avec du sang ou de l'encre ! Ça fume
autant et ça sèche ! » et en guise d'un au-revoir
: « Je suis une rose aux épines vénéneuses...
» C'était à l'occasion du truc lancé par
Jack Lang...
Elle avait dû sûrement penser que je la narguais. Je n'ai
eu enfin que ce que je méritais. J'étais à peine
visible à côté d'un dinosaure de la poésie
française. Mais je m'en moque en vérité puisque
j'ai pu, grâce à ce petit papier, manger gratis dans un
restaurant du centre-ville : « Il me semblait bien que c'était
vous sur le journal... » --- Et ma vieille voisine qui dit souvent
son Ave Maria à voix haute pour signifier aux Maliens
d'en face qu'une prière est un moment de recueillement qui exige
le silence : « Mais Monsieur Hmoudane, je ne savais pas que vous
étiez poète ! Nous voudrions bien, mon mari et moi, lire
ce que vous écrivez. » --- Cent francs l'exemplaire et
en liquide ! Awide (2), la vieille !
Plus de compassion !
Plus de phratrie !
A l'Annexe, le bar-à-putes comme on l'appelle, on est entre
« frères ». Le même sang coule dans nos veines.
Mais tout se passe à huis clos. Rien ne filtrait des
transactions louches. On ne me jugeait pas digne du noyau dur. On me
tenait à lécart. Ainsi, presque chaque nuit, je
m'imbibe jusqu'à la moelle, de bière bon marché
et je me tape, tout en restant étanche aux sentiments froissables,
la tchatche avec des « putes » en fin de carrière.
Des vieilles «putes» bien de chez nous qui toussent et crachent
leur âge et leurs nostalgies !
Plus de comédie !
Plus de maquillage !
Il faut tuer à visage découvert. Froidement ! A bout
portant ! A commencer par le lecteur !
Et me voilà serrant contre ta tempe la bouche glaciale du canon.
Tu trembles. Tu transpires. Tu hurles. Tu vas chier dans ton froc. Bientôt,
j'appuierai sur la gâchette et ta cervelle giclera sur les murs.
Tu gis maintenant à même la terre. Tu me fixes. Tu me
vois humer ta merde. Me laper de ton sang. Tu me vois jouir. Jouir...
II
J'en étais à une phase assez avancée de dégénérescence
et à je ne sais plus combien de verres
Ce soir comme les précédents j'avais encore bu
jusqu'à la nausée ! Et si au moins j'arrivais à
vomir.
Mais non rien
Constipation totale
Pannes sèches
Pas même un semblant d'orgasme pour couronner le
vertige
Je pataugeais dans le vide dont des pans translucides venaient éclabousser
les pages. J'avais dû d'ailleurs des nuits entières partouser
avec des morts. Des absents. Je les recevais tous. Ceux à venir
surtout. Comme il se devait. Je ne lésinais sur rien ! Je dépensais
sans compter mes ruts ! Et avec une telle hargne que le sang devait
gicler avec le sperme !
C'est une question d'hygiène
J'aseptisais mes plaies abruptes
Je leur donnais du relief
J'avais même à un moment, à force de me complaire
dans la magnificence, cru posséder un assez grand talent pour
jouer au mort. Réellement. C'est raté. Cela se mérite.
Et je demeure hélas trop ressemblant et frappé, malgré
tout, d'incontinence.
Il va falloir désormais que j'apprenne à ne dire que
ce terrible silence aux contours toujours informes et troubles
L'inabordable
L'insondable
Silence
Sinon, je la bouclerai ! C'est salutaire !
III
A présent que la fièvre retombe, répandant l'odeur
froide d'encens et de sueur, je pourrais penser avoir été
de l'ouvrage quand des hommes dressèrent ce lavis de sonates
et d'autres clapotis : droit sur le quai qui chavirait, je hélais
le feu, je l'épelais
Aux cris d'un phénix, des nuages écarlates fondaient
tandis que les ailes continuaient à battre comme pour attiser
toute la cendre qui allait tomber : trainées rapides de silex
broyés aux confins des dernières flammes et brusquement
des hommes, des
forgerons sans doute, investirent le mirage.
Les trous du ciel mouvant se mirent alors à saigner comme, aux
extrémités, les étranges enclumes aux fissures
profondes et bleutées, tout au long des noces que des androgynes
rêvaient pour eux : en bas, dans la forge où j'étais
descendu par un soir peuplé de mille démences, des morts
s'employaient à dérouiller la vieille mécanique
d'éros en même temps qu'ils aiguisaient la hache secrète
qui départagera les voies névralgiques de l'ultime sacre.
La forêt en trembla et les cimes argentées déferlaient
jusqu'aux astres de boue qui ceignaient la nuit. A la limite, l'encre
fumait à travers les fentes des pierres tandis que le bouc tellurique
paissait encore dans des contrées célestes lorsque les
mêmes vinrent le chasser des pâturages d'émeraudes
vers les abattoirs. Puis, ils s'en allèrent, au travers des braises
écloses et le tintement des tambours, clamant l'abolition du
cercle ainsi que de tout autre rythme afin que nous tentions un paysage,
le pays même, du crépuscule à l'assaut des clartés.
Et comme je venais attester ma mort de gémissements lapés
de feu, je me serai souvenu de cette femme que j'avais abandonnée
à des spectres. Je devais enfin être dans des exils plus
hauts que le mien pour l'avoir ainsi sacrifiée sur un autel d'alphabet
!
Il y aurait eu cependant des dissonances